La mission est-elle un ministère de l’Église ou sa nature même ?
La forme que doit prendre cette mission qui relève de l'être même de l'Église n'est pas précisée par le N.T. Comme dans d'autres domaines, par exemple le culte communautaire, le N.T. ne donne pas les formes, ce qui permet l'adaptation à toutes les périodes et à tous les lieux.
Même si les choses sont entremêlées comme je l'ai dit plus haut, il ne me paraît quand même pas inintéressant de répartir l'action de l'Église en deux domaines : la construction et la mission. Je ne choisis pas le mandat culturel et le mandat missionnaire, mais plutôt construction et mission. Ce sont deux domaines qui se chevauchent, bien sûr, on l'a vu. Ils peuvent correspondre, dans un sens, aux fameuses deux structures du règne de Dieu dont parle Ralph Winter : structure de rassemblement et structure d'envoi.
Le fait que la mission corresponde à l'être même de l'Église, si l'on veut dire les choses ainsi, ne dispense pas de se demander comment, concrètement, la mission va se mettre en œuvre. L'histoire montre que l'« être » ne se change pas automatiquement en « faire ». On a beau dire que les Églises sont missionnaires par nature, on est obligé de constater que ça n'a pas changé grand-chose pour un bon nombre d'Églises, d'hier et d'aujourd'hui. Et le N.T. le confirme, lui qui passe beaucoup de temps à dire aux chrétiens : mettez en œuvre ce que vous êtes ; ou vivez ce que vous croyez. L'histoire de la Réforme protestante montre qu'il peut arriver un moment où l'on croit ce qui est juste, où l'on confesse ce qu'il faut confesser, sans que cela ne change rien au comportement. Et c'est là que le piétisme est arrivé pour tenter de renouveler l'orthodoxie protestante desséchée. Même la thèse de Christian Schwarz, que j'apprécie beaucoup et qui est très utile aux Églises, la notion de croissance organique, me paraît trouver sur ce point une limite : si les conditions sont réunies, dit-il, si la qualité est au rendez-vous, l'Église grandit naturellement. Oui, ça paraît logique et viser la qualité est une bonne chose. Mais les conditions, dans le monde présent, pécheur, ne sont jamais réunies.
Donc le fait de distinguer construction et mission, dans la pratique, même si l'on sait que les deux sont très liés, permet de maintenir ces deux réalités vivantes dans la vie de l'Église. Il faut dire qu'il y a souvent tension entre l'activité interne et l'activité externe de l'Église. Entre le soin pastoral et l'évangélisation ou l'action sociale ou la mission. Mais le fait d'affirmer le fait d'affirmer que l'Église est en mission, puis de distinguer mission est construction, nous permet d'affirmer que la mission ne vient pas lorsque tout le reste est au point. La communauté des disciples de Jésus n'est jamais invitée à travailler sur elle-même, puis, lorsque ce sera fait, à se mettre en marche. Elle n'a pas d'autre voie à suivre que la voie de la mission de Jésus.
La tendance d'aujourd'hui, mais qui date déjà d'il y a plusieurs décennies, à valoriser l'évangélisation par attraction - les gens de l'extérieur viennent au culte et y entendent l'Évangile - cette tendance peut être une manière de mettre de côté la mission. Comprenons-nous bien : cette démarche, qui consiste à s'ouvrir aux personnes extérieures à l'Église, représente une évolution positive de la vie de l'Église moderne. Mais en même temps, elle peut être une manière de ne pas bouger soi-même et d'inviter les autres à faire mouvement vers nous. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est possible. Si c'est le cas, l'Église perd une partie au moins de sa raison d'être : elle ne va plus vers le monde, elle attend, sans appeler ni aller chercher.
Extrait du chapitre " La mission est-elle un ministère de l'Église ou sa nature même ? " (auteur : Christophe Paya)
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Le livre « L'Église locale en mission interculturelle : Communiquer l'Évangile au près et au loin », sous la direction de Evert Van de Poll, Excelsis, 2014
Cet ouvrage est publié avec le concours de la Fédération de Missions Évangéliques Francophones (FMEF) et du Réseau de Missiologie Évangélique pour l'Europe Francophone (REMEEF).
Dans cet ouvrage, théologiens, pasteurs, responsables d'organismes spécialisés, implanteurs des Églises, un animateur de missions à court terme, et un sociologue offrent leurs réflexions. Ainsi, différents regards sur le rôle de l'Église locale dans la mission se croisent.
Ce livre est destiné aux responsables des Églises comme aux « praticiens » qui se sont engagés dans une œuvre missionnaire, et à tous ceux qui sont intéressés par la mission.
Vous pouvez trouver cette ressource chez son éditeur ou un libraire